OK ! BÔMEUSE (SS2)

La suite du journal d'une bobo au chômage. Lisez avant de juger.

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Par Lisa Delille
29 avr. · 3 mn à lire
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Épisode 6 - Les soldes

Je veux me faire rembourser une écharpe chez Bompard pour acheter des sabots Jonak.

Y a une paire de sabots que j’aime bien. Je les ai repérés mardi dans la vitrine de la boutique Jonak à Saint-Placide. Ils sont noirs, fourrés, avec des talons crantés. Je connais même leur nom, ils s’appellent Raya. C’était inscrit sur la boîte. J’avoue, je n’ai pas pu m’empêcher d’entrer pour les essayer. À peine les ai-je chaussés que la vendeuse s’est écriée qu’elle ne les avait jamais vus aussi bien portés. Je l’ai crue volontiers. Après un an et demi de chômage, on prend n’importe quel compliment, aussi intéressé fût-il.

Je lui ai demandé le prix : 108 euros au lieu de 135. Là encore, je ne pouvais qu’être d’accord avec elle. Pour de la qualité italienne, c’était donné. Voyant que j’hésitais encore, la vendeuse a sorti son argument massue. D’après elle, les Raya peuvent se porter en toute saison, avec une paire de chaussettes colorées l’hiver ou bien pieds nus, l’été. Là, j’ai trouvé qu’elle y allait un peu fort. Pas sûre de supporter la fourrure lors de la prochaine canicule. Mais au diable la canicule, je suis passée à la caisse. Problème, ma carte bleue n’est pas passée. J’ai eu beau tenter trois fois, le paiement a été refusé.

Bye bye mes beaux sabots. DR.Bye bye mes beaux sabots. DR.

Je suis rentrée chez moi les mains vides, complètement déprimée. Le soir, en rangeant mon dressing, je suis tombée sur un paquet Bompard, cadeau de Noël de mon mec (enfin mon ex) que je n’avais pas ouvert. J’étais très en colère. Je l’ai déballé : à l’intérieur, une écharpe en cachemire. Je me suis connectée illico sur le site pour vérifier son prix : 150 euros. Largement de quoi payer mes sabots.

Le lendemain, je pousse la porte de chez Bompard, rue Vavin. La vendeuse s’avance tout sourire. Elle me demande ce qui me ferait plaisir. Je lui réponds : un remboursement.

La vendeuse semble déçue. D’un geste, elle m’invite à déposer mon article sur une table. Je m’exécute. Du bout des doigts, elle manipule mon écharpe comme si elle était radioactive. Elle veut voir la preuve d’achat. Je lui tends le ticket, elle l’inspecte d’un air suspicieux. Puis secoue la tête :

— Je suis navrée, je ne peux vous proposer qu’un échange…

— Hein ? Pourquoi ?

— Il me faut la preuve d’achat.

— Et qu’est-ce que je vous ai donné, là ?

— Madame, il s’agit du ticket de courtoisie.

Un ticket de courtoisie ? Je me mords la lèvre pour ne pas éclater de rire. Un ticket de courtoisie, d’où elle sort ça ? Du manuel de savoir-vivre de la Baronne Staffe ? Il faudrait leur dire, chez Bompard, qu’on n’est plus à la Belle Époque. Le peuple souffre, la révolte gronde.

J’insiste un peu mais c’est peine perdue. La vendeuse est catégorique. Pour tout remboursement la maison exige le ticket avec le prix. Pour ma part, je me vois mal appeler mon ex pour lui expliquer que je veux rendre son cadeau, même si ça lui ferait les pieds. Cela dit, je pourrais le mettre sur Vinted. Mais j’ai la flemme.

Bon, tant pis pour les sabots. Je n’ai plus qu’à me trouver autre chose. Ce n’est pas tous les jours que j’ai une séance de shopping offerte. On dira que c’est mon moment Pretty Woman.

Je demande à la vendeuse de me montrer les pulls. Elle me désigne le mur d’étagères. Je me hisse sur la pointe des pieds pour farfouiller. Elle m’en empêche : elle est là pour me servir. Je recule d’un pas et lui désigne un col roulé bleu. Elle me coupe. On dit céladon. Je pointe le même en gris. Elle corrige : c’est tourterelle. J’aperçois un autre modèle col V marron. Elle s’agace : c’est caramel ! Je lui demande le médium qu’elle me dépose sur la table. Je lorgne l’étiquette : 360 euros. Elle précise : c’est la collection permanente. À ce prix-là, je ne vais pas me donner la peine d’essayer.

La vendeuse m’oriente vers un portant près des cabines du fond. Une pancarte signale la troisième démarque. Forcément, il ne reste plus que des couleurs criardes. Je vais pour partir mais elle me retient en agitant un gilet jaune. Je fais la moue. Déjà, je n’aime pas le jaune. Encore moins sur un gilet. Elle insiste :

— Passez-le, ça ne coûte rien…

Pas faux. Je la suis en cabine. Je retire mon sweat, boutonne le gilet. J’ai du mal à fermer les boutons. Je ressors pour avoir quand même son avis. Elle s’extasie :

— Ça vous donne du pep’s, c’est fou !

Je me regarde dans la glace. Elle n’a pas tort, même s’il me boudine, j’ai meilleure mine qu’en entrant. C’est sympa le jaune finalement. C’est positif. La vendeuse dit : c’est colibri.

Je lui demande d’aller me chercher la taille au-dessus, si ça ne la dérange pas. Elle souffle et disparaît par une porte dérobée. Elle revient cinq minutes plus tard avec un 44. C’est tout ce qu’il y a.

J’essaie quand même. Forcément, je flotte dedans. Je ressors de la cabine. La vendeuse me trouve encore plus rayonnante. Je reste sceptique. Je préfèrerais prendre un avoir. Elle scanne l’écharpe pour vérifier la date d’achat. Manque de bol, c’est le dernier jour pour la rendre. Ça m’embête. Je n’aime pas le rouge. Elle rectifie : c’est rubis.

Je quémande le prix du gilet jaune, à tout hasard. Elle cliquète sur sa souris et m’annonce sur un ton triomphal :

— Le même que l’écharpe !

Je me tourne vers le miroir pour lui poser mon dilemme : dois-je me résoudre à porter cette écharpe rouge de droite ou bien ce gilet jaune de chômeuse ?

Pour achever de me convaincre, la vendeuse abat sa dernière carte.

— C’est pratique, un gilet. Surtout si vous devez passer des entretiens.

Elle est voyante, ma parole ! Comment sait-elle que j’arrive en fin de droits ? C’est écrit sur mon front ou quoi ? Je pense : et si elle avait raison ? Qui sait, sur un malentendu ce gilet va peut-être m’aider à trouver du taf. OK, je le prends.

Ravie, la vendeuse le glisse dans sa pochette en toile de jute. Mais avant de finaliser la transaction, elle tient à s’assurer que je saurai prendre soin de mon cachemire. Je lui avoue mon ignorance. Trente degrés en machine avec essorage à cinq-cent maximum, à condition d’avoir un shampoing spécial. Je paye sans broncher.

Je ressors de chez Bompard avec mon gilet jaune trop grand et mon adoucissant à 30 balles. En chemin, je passe devant Jonak pour dire adieu à mes beaux sabots. Je leur souris et m’éloigne avec un pincement au coeur.

PS : je fais du 39.